Interview Eric Legrand : son parcours
Même s’il le nie lui-même, Eric Legrand est, pour nous en tout cas (l’équipe Dragon Ball Super – France), un grand comédien qui a réussi à nous immerger plus jeunes dans les plus grands animés existants : bien sûr Dragon Ball mais aussi Saint Seiya. Nous voulions juste en préambule indiquer plusieurs points :
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Comme annoncé dans un de nos précédents posts, nous avons donc eu la chance et l’infime honneur de pouvoir rencontrer Eric Legrand, connu entre autres (au sein de la famille Dragon Ball) pour avoir donné sa voix en français aux personnages de Yamcha et surtout de Végéta. Nous avions pris le parti de réaliser cette interview en 3 parties avec une petite introduction « actualités » d’Eric Legrand au préalable. Nous nous sommes rencontrés un midi, le jeudi 30 juin 2016, alors qu’il était en plein enregistrement sur l’animé Saint Seiya. Cette rencontre a été pleine de surprises, d’humour, et très humaine. Eric Legrand est vraiment un grand monsieur !
En introduction, Eric Legrand nous a d’abord prévenus et expliqué pourquoi il ne voulait plus faire d’interview et, comme annoncé en préambule, nous vous laissons regarder sa page Facebook pour plus d’explications. Nous en avons profité pour également comprendre pourquoi il ne souhaitait plus aller en convention.
EL : « Cela a commencé notamment avec mon apparition au sein d’une émission sur Fun Radio à Bruxelles à laquelle j’ai été invité. L’animateur, qui est fan de Dragon Ball, m’a demandé de faire un petit canular téléphonique avec la voix de Végéta alors que je n’avais pas été prévenu, et que je n’en avais pas tellement envie. Mais cela aurait été mal venu de m’obstiner à refuser. Je l’ai donc fait et tout cela a été filmé et mis sur le Net. J’ai d’ailleurs été sidéré de voir que la vidéo a fait plus d’un million de vues… Pas parce que c’est moi mais parce qu’il s’agit de Végéta et que ce personnage a toujours un impact insensé. Bref… Sur cette vidéo il y a eu un certain nombre de commentaires, la plupart très courts, type MDR, LOL etc. Des centaines… Mais également beaucoup d’autres qui portaient sur mon âge et mon apparence. Alors j’ai envie de dire : réfléchissez un minimum ! J’ai commencé il y a 30 ans… par conséquent, forcément je n’ai pas 30 ans ! J’ai donc eu beaucoup de commentaires du genre « Un mythe qui s’écroule », « Oh là là j’suis choqué », « C’est un vieux »… Il y en a eu un en particulier, dont je parle sur ma page Facebook, qui est significatif de ce que j’ai pu lire (ndlr : nous vous invitons encore une fois à regarder la page Facebook d’Eric Legrand sur laquelle il parle également de ce phénomène). Et quand on se prend ça sur le coin de la gueule c’est très violent. Alors je peux comprendre que quand on entend une voix on s’imagine des choses et qu’on soit déçu par la réalité de l’apparence du comédien, mais je ne veux plus susciter ce genre de commentaires. C’est donc fini… Je ne me montrerai plus en public en tant que « voix de ». Je n’accepterai plus de photos, plus de conventions, plus d’interviews. En tant que « voix de », je précise bien. En plus j’ai la curiosité à chaque fois d’aller voir les commentaires. J’ai tort, je sais ! Mais comme je ne peux pas m’en empêcher, c’est fini ! »
DBSFrance : On voit souvent dans nos pages ou sur d’autres les expressions doubleurs, comédien de doublage, des expressions contre lesquelles vous vous battez.
EL : Encore une fois, je vois ça aussi souvent, on dit (sur le mode « C’est un emmerdeur ») « Ah il ne veut pas qu’on l’appelle doubleur mais il fait du doublage, donc c’est un doubleur qu’il le veuille ou non ! ». Alors, quand je fais du cinéma je suis cinémateur ? Quand je fais du théâtre je suis théâtreur ? Quand je fais de la publicité je suis publiciteur ? Je suis comédien, point. A chaque fois je renvoie à l’article que j’ai écrit sur mon site sur le sujet (lien vers le site) mais c’est pareil ça leur passe au-dessus de la tête. Et on dit aussi « Mais ceux qui doublent les Simpson acceptent bien, eux » … Mais s’ils l’acceptent c’est leur problème, et je suis sûr qu’ils ne s’appellent pas comme ça entre eux. Et on dit aussi « On ne le voit pas dans des séries » … Mais quel rapport ? De toute façon, j’ai tourné dans des séries, si ! Et pas seulement. Cela n’a rien à voir, de toute façon, et ce n’est pas le problème. Je veux seulement que les choses soient claires et précises, comme je l’ai écrit sur mon site.
DBSFrance : Alors donc, un petit point actu, vous enregistrez en ce moment « Saint Seiya : Tenkai-hen josō ». Quelles sont les autres actualités vous concernant ?
EL : Très ponctuellement, je joue en appartement avec Céline Monsarrat (ndlr : qui double Bulma dans Dragon Ball), sinon je n’ai pour l’instant pas d’autres choses. Des projets de courts métrages mais rien de défini encore.
Eric Legrand : Son Parcours
DBSFrance : Sur votre page Facebook, vous nous régalez avec quelques photos de vous, dont une où vous étiez petit dans une Formule 1. Une vocation ?
EL : Non pas du tout. Je la trouvais marrante, la tronche que je faisais là-dessus était marrante. C’est plus un clin d’œil à moi-même, à la vie. C’est rigolo. Un copain à moi, quand il l’a vue, a dit en rigolant « Il avait déjà un sale caractère ! »
DBSFrance : Et vous êtes plutôt un fonceur dans la vie ?
EL : Non, même pas. C’est que je l’ai trouvé marrante, c’est tout, vraiment.
DBSFrance : Vous expliquiez dans une interview précédente que, plus jeune, vous aviez pensé à faire médecine, par rapport à votre père. Est-ce un regret aujourd’hui ?
EL : Non, du tout ! C’était une erreur fondamentale de ma part qui, heureusement, est partie toute seule.
DBSFrance : Ensuite vous avez fait vos premiers pas à la radio sur France Inter / France Culture à la fin des 70’s.
EL : Oui, mes premiers pas professionnels se sont faits à la radio mais aussi au théâtre, à la Comédie Française, lorsque j’étais élève au Conservatoire. A partir de 75 j’ai fait beaucoup de radio et le doublage est arrivé à partir de 78. Les activités au micro ont commencé assez vite après ma sortie du Conservatoire, vu que je suis sorti en 75.
DBSFrance : Comment êtes-vous entrés dans la branche doublage ?[1]
EL : Tout à fait par hasard. J’ai commencé à en faire en 1978. A l’époque je travaillais assez régulièrement pour Radio France ; j’enregistrais des dramatiques pour France-Inter ou France-Culture essentiellement, en tant que comédien bien sûr, et je travaillais fréquemment avec un réalisateur qui me disait souvent, lorsque je travaillais avec lui : « C’est fou ce que ta voix ressemble à celle de Jean-Pierre Leroux ! » (un autre comédien). Il disait la même chose à Jean-Pierre Leroux (« C’est fou ce que ta voix ressemble à celle d’Eric Legrand ! »). Nos voix avaient en effet certaines similitudes même si nous avons des tempéraments assez différents, je pense.
Or Jean-Pierre, de son côté, faisait déjà du doublage. Et il a été appelé un jour pour doubler un film dont le titre était « Le Prince et le Pauvre ». C’était une superproduction Hollywoodienne en 35 mm qui n’est d’ailleurs finalement jamais passée sur les écrans français et que je n’ai vue que des années plus tard à la télévision. Dans cette histoire tirée d’un livre très célèbre de Mark Twain, le petit Prince de Galles, fils du roi Henry VIII d’Angleterre, est le sosie d’un petit pauvre et ils intervertissent tous les deux leurs places jusqu’à ce que le prince reprenne son rôle, bien entendu. Evidemment, dans le film c’était le même comédien qui interprétait les deux personnages sosies. Cependant le doubleur avait décidé de prendre pour la version française deux voix proches mais néanmoins différentes pour chacun des deux personnages. Il avait donc appelé Jean Pierre pour l’un des deux rôles et lui avait demandé s’il avait une idée pour le comédien qui pourrait doubler l’autre rôle. Jean-Pierre, qui avait entendu je ne sais combien de fois du réalisateur de radio que sa voix ressemblait à la mienne, a naturellement répondu : « Eric Legrand ! ». Et voilà… Ce doubleur, Richard Heinz, m’a contacté pour passer des essais. Ils ont été concluants, apparemment, et j’ai donc doublé l’un de ces personnages. Ça a donc été mon premier doublage et ça a été pour un rôle principal dans un 35mm !
DBSFrance : Quand on regarde votre carrière professionnelle dans les métiers de l’audiovisuel, du cinéma, on voit que vous avez commencé assez tôt par des rôles devant la caméra, au cinéma, au théâtre, dans quelques séries. Vous parlez du théâtre notamment comme votre grande passion. C’est quelque chose que vous regrettez aujourd’hui ?
EL : Le théâtre me manque terriblement. Le parcours que j’ai eu n’est pas celui que j’imaginais et dont je rêvais en sortant du Conservatoire. Une scène est l’endroit où je me sens le plus heureux et le plus chez moi. Tourner est généralement quelque chose de très ennuyeux. A chaque fois que je regarde un film, je me dis que ça devait être chiant à tourner, un film d’action encore plus que le reste. Dans les comédies au moins il y a du jeu, mais très peu à la fois. 20,30, 40 secondes de jeu, avec 2 heures d’attentes pour tourner un plan, et ça peut être très ennuyeux. Quand on est une star avec sa loge et tout, ça doit être différent. Quand je tournais pour la télévision, en vidéo je précise, on tournait de façon quasi théâtrale. On répétait tout avant, comme au théâtre quasiment, et on tournait ensuite des scènes très longues. C’était donc un vrai plaisir. Je pense, mais je n’ai qu’une toute petite expérience, que le plaisir du tournage au cinéma se situe ailleurs. On créé une histoire avec une équipe, on tourne dans des décors, des lieux… Le plaisir du jeu est très annexe, paradoxalement… Enfin, j’imagine. Encore une fois je n’ai pas une grande expérience du cinéma mais je me dis que le plaisir du jeu n’est pas véritablement le principal. Ça peut paraître étrange… Et puis je me trompe peut-être. En tout cas c’est vraiment sur scène, au théâtre, que je me sens heureux.
DBSFrance : Mais du coup êtes-vous satisfaits de votre carrière ?
EL : Je n’appelle pas ça une carrière ! J’ai eu énormément de chance (et peut-être un peu de talent ?) de beaucoup travailler et de ne pas galérer, et je remercie la vie de m’avoir permis de vivre de mon métier, j’ai eu un parcours fourni mais ce n’est pas une « carrière ». J’ai fait beaucoup de choses sympas, mais ça s’arrête là.
DBSFrance : Vous parlez beaucoup dans vos interviews de la série « Charles s’en charge », série dans laquelle vous interprétez Charles (Scott Baio), et qui reste un de vos plus beaux souvenirs : qu’est ce qui a rendu ces tournages si mémorables ?
EL : Les conditions étaient optimales, l’équipe était très sympa. C’était l’âge d’or du doublage, on avait beaucoup de travail, on ne se posait pas trop de questions. Le produit était délicieux et donc très agréable à faire, il y avait une vraie rencontre avec l’acteur Scott Baio, dont j’aimais beaucoup le jeu. Je suis rentré dans ce rôle comme dans des pantoufles. J’avais un plaisir fou à le faire. Et puis j’avais le rôle principal donc je n’avais pas le temps de m’ennuyer. J’ai d’autres beaux souvenirs mais c’est celui-ci qui me revient en premier car c’était une époque insouciante, bien avant la grande grève (ndlr : 1995 – grève pour la reconnaissance des droits intellectuels des comédiens dans le doublage). Les conditions étaient différentes…
DBSFrance : Et du coup vous avez également eu des choses que vous regrettez dans les choix que vous avez fait ?
EL : Mais on ne choisit pas ! Vous savez les comédiens qui peuvent choisir se comptent sur les doigts de la main. Ça aussi les gens ne savent pas… On est appelés et c’est tout. L’énorme majorité des comédiens acceptent les scénarios qu’ils reçoivent car ils n’ont pas le choix ! Il faut vivre, manger… Et dans le doublage, on ne choisit jamais. On m’appelle, je dis « Je viens » et je découvre. Parfois on me dit avant de quoi il s’agit mais en tout état de cause je ne dirai jamais non. Comme je le disais sur ma page Facebook, il est très rare que l’on refuse quelque chose. Il faut bien vivre ! Et puis cela serait mal vu. On ne sait pas de quoi demain sera fait, alors il faut prendre le boulot quand il vient. Au théâtre c’est différent. C’est un gros investissement de temps et d’énergie, on ne gagne pas grand-chose (la plupart du temps et quand on n’est pas une vedette) voire rien du tout, et on le fait par plaisir avant tout, donc on choisit. Mais dans le doublage, oui on le fait pour vivre, pour la thune. Donc j’y vais, que ça me plaise ou pas, j’y vais. Je n’ai pas de choix. Ça m’est arrivé une fois de refuser. C’était un film coréen, je ne comprenais rien, le mec était trop jeune, j’ai refusé de faire l’essai (il ne s’agissait que d’un essai, je n’aurais peut-être même pas été choisi au final). Donc on me demande si je suis libre et, si je le suis, j’y vais. Et j’ai la surprise en arrivant. Il peut nous arriver de refuser de travailler pour une boîte particulière (parce qu’ils paient trop longtemps après, ou parce que ce sont des escrocs) ou parce qu’on n’a pas envie de bosser avec quelqu’un de donné, mais c’est très très rare. C’est un luxe que nous ne pouvons plus guère nous permettre aujourd’hui.
DBSFrance : Tant que l’on parle d’expérience, est-ce que vous voulez nous parler de votre passage dans la chanson ? (ndlr : le clip Bouchées Doubles feat Eric Legrand (Végéta) : Fiers). Est-ce que c’était par amusement ? Curiosité ?
EL : Ils m’ont contacté, j’en ai été stupéfait d’ailleurs, et comme c’est un monde inconnu pour moi j’ai eu envie de tenter l’expérience. Mais je me suis renseigné avant et je leur ai demandé le texte de leur chanson ! Je ne voulais pas accepter n’importe quoi… Un deuxième groupe m’a contacté quelques années après (Rise of the North Star), et j’ai commencé par refuser. C’était du hard core ! Mais nous avons eu des échanges de mails très sympathiques avec le garçon qui m’avait écrit (Vithia), et dont les propos me donnaient plus l’impression d’être émis par quelqu’un qui écoute du Mozart que par un type qui fait du hard core. Quand il est revenu à la charge 2 ans après je me suis dit « OK, qu’est-ce que j’ai à perdre ? ». Je me suis donc décidé à enregistrer pour eux. Et ensuite j’ai été beaucoup contacté et j’ai toujours dit non. Mais là, je viens d’accepter encore une fois de participer à ce qui va, je crois, être un rap, comme avec les Bouchées Doubles. J’en parlerai sur ma page Facebook le moment venu. Je n’en dis pas plus, sinon que j’ai accepté pour ce qui sera très probablement la dernière fois et que j’ai dit oui à ce chanteur pour des raisons très… comment dire ? Sensibles. Cette participation particulière a un sens précis et extrêmement profond pour moi, je ne pouvais pas passer à côté, tout simplement.
[1] Sur cette question et la réponse qui suit, nous nous sommes mis d’accord avec Eric Legrand pour reprendre sa réponse détaillée d’une autre interview.
Interview réalisée par Matthanor pour DragonBallSuper-France.fr // FB/DBSFranceV2/
La partie 2 de cette interview d’Eric Legrand : le métier de comédien.
La troisième partie se trouve ici : Eric Legrand : Dragon Ball